Au Laos Le cœur de la France bat pour les enfants malades
Source : PARIS MATCH
Joy Zoghbi, chef du service de chirurgie cardiaque pédiatrique à l’hôpital Jacques-Cartier de Massy, opère Do, fin octobre.
Chaque année, des médecins quittent l’Hexagone à la rencontre de petits atteints de malformations mortelles. Nous avons suivi l’un d’entre eux au Laos.
De Do, la petite Laotienne de 2 ans et demi dissimulée sous un drap de protection, on ne voit que le cœur qui, progressivement, ralentit puis cesse de battre. Sur les ordres du Dr Zoghbi, l’anesthésiste lui a injecté un liquide riche en potassium, provoquant l’arrêt de l’organe dans sa phase de relaxation. Sur la gauche de la table d’opération, un appareil de circulation extracorporelle remplace désormais le cœur malade de la fillette, permettant ainsi au sang de circuler à l’intérieur du corps. Le Dr Joy Zoghbi, chef du service de chirurgie cardiaque pédiatrique de l’hôpital privé Jacques-Cartier de Massy, peut maintenant procéder à l’étape cruciale de l’intervention : corriger la transposition des minuscules artères pour les replacer correctement sur chaque ventricule, et boucher le « trou » qui, présent entre les oreillettes droite et gauche chez le fœtus, est resté ouvert alors qu’il se referme normalement à la naissance. Si l’opération est couronnée de succès dans 98 % des cas, elle n’en reste pas moins délicate et très technique.
Alphonse Pluquailec, médecin franco-laotien, ausculte Do, 2 ans et demi, sous le regard attentif de ses parents, dans leur maison de Champassak dans le sud du Laos.
« Mettez-moi de la musique », demande le chirurgien. Une infirmière s’exécute. « En général, on lui met RFM », sourit-elle. Alors, sur un air de U2, comme un marionnettiste, le Dr Zoghbi commence à écarter les organes, à peine plus gros que ceux des souris que l’on disséquait à l’école primaire. Il passe un fil derrière un ventricule, réclame en rafale différents instruments, fait réajuster le point de lumière sur une partie précise du thorax ouvert, s’agace quand une artère lui échappe un instant… « Tu vas bientôt pouvoir te préparer », annonce-t-il enfin à l’anesthésiste placé derrière lui. Son travail d’horlogerie est terminé. Survient alors l’instant le plus émouvant, celui où le cœur de Do, immobile depuis plus de deux heures trente, va doucement se réactiver. Illuminé par l’énorme projecteur de la salle d’opération, il se remet imperceptiblement à fonctionner. On voit frémir ses deux petits ventricules. Progressivement, le cœur se gonfle, puis se relâche et, enfin, retrouve son rythme normal. L’intervention est un succès. Elle aura duré quatre heures. Il y a quarante ans, cela aurait été le triple.
Une semaine auparavant, Do était allongée, hurlante, sur le sol de la maison de ses parents à Champassak, une petite ville reculée du Laos. C’est un « bébé bleu », disent les médecins.
Une séparation déchirante. Do, dans les bras de Jean-Pierre de l’association Aviation sans frontières. Derrière, Jean-Paul porte Sipa, autre enfant malade en partance pour la France.
En la voyant, on comprend la raison d’une telle expression. Suite à un manque crucial d’oxygénation, sa peau, quasi mauve, trahit une malformation cardiaque. Ses lèvres et ses doigts sont cyanosés, chacune de ses respirations semble lui arracher un effort douloureux et ses cris résonnent à travers tout le quartier. Depuis sa naissance, ses parents sont désemparés devant la souffrance de leur enfant. Dans ce pays où il y a 10 cardiologues pour 7 millions d’habitants, faire examiner des symptômes est, en soi, déjà un combat. Il y a un an, ils ont fait le voyage jusqu’à Paksé, la « grande ville », à 60 kilomètres de là. Toute une expédition… Sans route goudronnée, il est inimaginable de s’y rendre pendant la saison des pluies. Alors il a fallu attendre. Quand ce fut possible, ils ont emmené Do au dispensaire où un médecin généraliste a essayé d’établir un diagnostic. Ses conclusions ont été envoyées à Vientiane, où se trouve le seul centre de cardiologie de tout le Laos : Santé France Laos. Alphonse Pluquailec en est le fondateur. Ce Franco-Laotien, venu en France faire ses études, resté après le changement de régime en 1975, exerce à Arles et est connu ici comme « le Dr Alphonse ». C’est lui qui essaie de former les médecins généralistes des différentes provinces aux symptômes cardiaques avant d’effectuer, trois fois par an, des tournées d’un ou deux mois afin de confirmer le diagnostic.
Dans le cockpit, avec le commandant de bord. Le vol Bangkok-Paris durera dix heures trente. Sipa pleure toujours, mais Do s’est enfin endormie…
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